Au sources de la passion

Au sources de la passion

«Cela fait maintenant un an, deux mois et un jour que le regretté Henri Toivonen nous a quitté». In vino veritas. L’homme qui tient ces propos ne possède peut-être plus tous ses esprits à cette heure avancée de la nuit, mais le décompte précis et exact témoigne en cela de l’attachement viscéral du locuteur aux choses du rallye.
Agé de 46 ans Gaby vit à Ocana. Tout jeune il n’avait qu’à ouvrir les fenêtres de sa chambre pour voir passer les bolides qui s’affrontaient le long de l’épreuve aux dix mille virages. Clouée au dessus du seuil d’entrée de sa maison, une pancarte officielle «tour de Corse automobile» donne le ton. Son intérieur est entièrement façonné par sa passion exclusive. Depuis sa collection de modèles réduits au 1/43eme jusqu’à ses nombreuses vidéos, il respire l’univers mécanique par tous les pores de son corps. Des tonnes de piles de magazines valant une fortune, Rétro Course, Rallye Magazine, Compte Tour, Auto Moto ou bien Echappement, s’entassent dans ce capharnaüm dédié au dieu de la course, sorte de compromis d’onirisme et de science infuse encyclopédique dans le quel Gaby est tombé lorsqu’il était tout petit. Tout cela vous inocule le virus de la vitesse par l’intraveineuse de la passion et trace la voie d’un homme pour le restant de ses jours. Ami intime d’Yves Loubet qui reste pour lui la référence absolue, Gaby Casanova se complait à citer ses «paisani» Guy Fiori, Titi Muselli, Jean Michel Remiti et Gerard Flottes ainsi que d’autres pilotes insulaires comme Laurent Poggi, Jean Simon Battini et Patrick Langiani dont il est très proche. Il voue aussi un culte quasi religieux aux chers disparus que sont Attilio Bettega, Henri Toivonen, Marco Massoroto et….. Ayrton Senna.
A l’approche du tour de Corse, il bricole et astique ses deux véhicules personnels, une Talbot Samba groupe B ex Gilbert Casanova et une Alfa Giulia en rêvant a leurs commandes de temps scratches et de pilotage spectaculaire devant un fan club tout acquis à sa cause.
Il est comme cela Gaby, idéaliste et fidèle en amitié. Chaque année, à l’occasion de l’épreuve reine il reconstitue avec ses amis de cœur, Paul et Joseph, Ocanais d’origine comme lui, le trio de ses vertes années. L’un et l’autre de ses compères, respectivement notaire à la ville et responsable de la pharmacie de l’hôpital, ne rateraient pour rien au monde ce pèlerinage annuel aux sources. La course ayant boudé leur beau village, ils vont se poster tous les trois à l’arrivée de la spéciale la plus proche à Bastelica.
Tôt le matin, Paul passe prendre ses amis avec son 4×4 rutilant entretenu hebdomadairement de façon obsessionnelle à la station service Ceccaldi et les voila en route pour la montagne vrombissante de la sarabande endiablée des moteurs tournant à plein régime. Une fois sur place, l’attente jubilatoire commence. En chasseurs avertis ils ne manquent pas de relever les traces encore fraîches du sanglier tout en croquant des arbouses à la pulpe sucrée encore recouvertes de la rosée du matin. Dans cette communion avec la nature vient l’heure des borborygmes et des premiers creux à l’estomac. Joseph s’empare du panier en osier empli de victuailles pour entamer le premier «spuntinu» de la journée. Les trois amis s’empiffrent de jambon cuit «l’infernu» aromatise aux herbes du maquis accompagné par l’oignon du jardin et le fromage «merzu», le tout arrosé par le rouge qui tache de la vigne de Paul. Le premier son strident et lointain de moteur en surrégime surprend Joseph en train d’essuyer d’un revers de main un magma blanchâtre mal digéré dégoulinant mollement par la commissure de sa lèvre. L’haleine chargée empuantie par ces excès ingurgites trop vite et par l’acre fumée à l’odeur forte dégagée par son Havane quotidien, il respire à pleins poumons l’air vivifiant et pur des hauteurs. Paul s’empare de son caméscope et procède aux derniers ajustements avant le passage des voitures. Dieu que la montagne est belle semblent -ils se dire à l’unisson, enchâsses qu’il sont entre cette nature vierge immaculée et ce ballet incessant de prolpuseurs à l’agonie résonnant contre les hautes parois rocheuses.
Fête épicurienne aux relents nostalgiques, cette journée du tour est un retour aux joies simples et saines du paradis de l’enfance. Le soir en s’endormant, Gaby pourra rajouter un nouvel épisode à l’épique saga entamée depuis déjà si longtemps.
François Poli