Les Russes en Corse : une intégration réussie

Les Russes en Corse : une intégration réussie

La Corse compte environ 200 habitants d’origine russe ou ukrainienne. La plupart sont les descendants des passagers du Rion, exilés de leur terre natale après la révolution d’octobre et la guerre civile qui s’en suivit. Une association, « Kalinka-Macchia » réunit depuis 1994 ces Russo-Corses qui donnent un bel exemple d’une intégration réussie.

Les passagers du Rion
Un jour de mai 1921, le golfe d’Ajaccio accueillit un bien étrange navire, portant a son bord 3800 hommes, affamés, assoiffés, dépouillés de tout, perdus, vaincus.
Le Rion, c’est son nom, faisait parti des 130 embarcations qui sauvèrent la vie de milliers d’hommes de l’armée blanche du général Wrangel. Acculés en Crimée par les Bolcheviques sortis victorieux des deux ans de guerre civile qui succédèrent à la chute du Tsar et à la révolution d’octobre, 110 000 soldats et 30 000 civils fuirent l’armée rouge de Trotsky, direction Constantinople.
Le destin capricieux détourna le Rion de sa destination première, le Brésil : à cause d’une grave avarie de moteur, le navire termina sa course à Ajaccio.
La Corse qui accueillait ces Russes blancs était elle aussi ravagée par la guerre et manquait de bras robustes pour cultiver la terre. Deux à trois cents émigrés trouvèrent refuge dans nos campagnes et l’espoir d’une vie décente. Une centaine d’entre eux fondèrent une famille, et ainsi commença l’aventure des Russes en Corse. En épousant les futures mères de leurs enfants, ils épousaient aussi une langue, une culture, une religion, un métier, pour une intégration qui était leur but, leur plus grand espoir. Leur dissolution parmi les Corses est étonnante. Dés 1922, ils sont signalés officiellement dans 80 communes corses et nulle part on n’observe de concentration importante. Dans beaucoup de villages, « u Russio » est le seul étranger. Les Russes débarqués du Rion n’ont jamais revu leur pays d’origine.
Depuis 1921, d’autres sont venus : on note des arrivées individuelles jusqu’en 1939, et quelques expatriées depuis la dislocation de l’URSS, mariées aujourd’hui à des Corses.
Les Russes se sont dissous au sein de notre peuple. L’île les a totalement assimilés. Seuls des patronymes tels que Amoslky, Aparine, Baranovsky, Borodine, Bikodoroff, Dimitrieff, Gourinovitch, Ivanoff, Joukov, Kotchef, Maïboroda, Mironenko, Voropaief, Pimenof, Popov, Seleznef, Serdukof, Tarrassenko, révèlent par leur consonance exotique l’origine slave de certains des nôtres.

Kalinka-Macchia
Le temps passe. Il ne reste plus aucune trace du Rion, parti finir sa vie quelque part en Italie. Les Russo-Corses n’ont plus de russe que le nom. Tous parlent corse, certains même deviennent des nationalistes convaincus, et la Corse est leur patrie.
En 1922 la Russie devient république de l’URSS, puis voit la mort de Lénine, la montée du Stalinisme et la menace du Goulag … Les anciens Russes blancs sont entièrement coupés de leur pays d’origine. Il faudra attendre Gorbatchev, la perestroïka et l’effondrement de l’Empire Soviétique pour que d’autres portes s’ouvrent enfin pour les exilés de la révolution d’octobre.
Quelques uns éprouvent alors le désir de retrouver leurs origines, maintenant que la chose est possible, et créent une association : Kalinka-Macchia. Sa création n’est cependant pas aussi évidente qu’il n’y parait, comme l’explique Jean Maïboroda, un de ses co-créateurs : « C’est d’une exposition sur les Russes de Corse qu’est née l’idée de créer cette association. Nous avions décidé de contacter toutes les personnes trouvées dans l’annuaire dont le nom avait une consonance slave. Contre toute attente, les descendants des passagers du Rion se sont avérés très difficiles à réunir. Il ne voyaient pas l’intérêt de cette association tant leur assimilation aux Corses était profonde. Ils ne présentaient aucun esprit communautariste. » L’association s’est créée pourtant, et cela s’est avéré être une bonne chose car aujourd’hui, les descendants se montrent très désireux de connaître leur histoire. La plupart ne savaient pratiquement rien du passé de leurs ancêtres exilés, qui ne parlaient que très peu de la guerre civile qui a suivi la révolution, ni de leur odyssée sur le Rion.
Kalinka-Macchia est une association d’amitié et d’échanges Corse-Russie-Ukraine, dont le but est donc de réunir les descendants des émigrés de la révolution russe de 1917, mais aussi toute personne d’origine slave vivant ou séjournant en Corse. Par extension, elle rassemble tous les insulaires qui s’intéressent à la culture et aux langues slaves ou qui souhaitent l’établissement de liens entre la Corse et les pays de l’Est, notamment la Russie et l’Ukraine. Depuis un an ou deux, elle offre conseil et soutien aux familles adoptantes d’enfants de ces pays. Joseph Tarrassenko, son Président, est le fils d’un des passagers du Rion, qui débarquât sur l’île à l’âge de vingt ans. Il réunit autour de lui une cinquantaine de membres. En treize ans d’existence, l’association a entrepris des actions humanitaires en Ukraine, notamment pour les enfants handicapés de Donetzk. Elle a en outre organisé en 2006 un colloque sur Pozzo di Borgo qui a réuni des chercheurs de Corse et de Moscou, lien qui s’est prolongé en 2007 par la venue à Ajaccio d’étudiants de l’université de Lomonossov pour un séjour linguistique de 10 jours et une découverte de l’île. Espérons que les contacts repris permettront d’autres échanges entre villes et universités de nos deux pays.
Les Russo-Corses ne partent découvrir leur terre d’origine que depuis un an ou deux. Ils ont alors l’émotion et le bonheur de retrouver une partie de leurs parents qu’ils n’avaient jamais vus.
Mais c’est un long voyage … Heureusement, les années où les moyens de l’association le leur permettent, les membres organisent un vrai réveillon russe « traditionnel ». C’est alors avec plaisir que tous se réunissent dans l’amitié pour évoquer, autour d’un orchestre slave, un verre de vodka à la main, leur autre patrie, leur autre famille restée là bas.
FM