Un son di cornu da li monti Barbatu

Un son di cornu da li monti Barbatu

Théâtre d’ombre et de lumière à la fois farouche et chaleureux, le monde insulaire est un sanctuaire ou les rites, les signes et les croyances se parlent et se répondent par le biais d’une gestuelle et d’une verve méditerranéennes incompréhensibles à l’étranger. Le non initié s’y promène à travers un maillage de signification et de fausses pistes dont l’omerta, “l’acqua in bocca”, représente le gardien tutélaire et le paravent trompeur, a tel point que même s’il pénètre aisément dans l’île, l’intrus ne peut s’imposer sur ce terrain mouvant de masques et d’apparences.

Terre au relief tourmenté et déchiqueté plongée dans un bain de “mare nostrum” de par sa géographie montagneuse et îlienne, à la fois “terre des communes” et “terre des seigneurs ” tout au long d’une histoire chaotique et tragique qui la vit tour à tour romaine, pisane, génoise, française mais aussi “paoliste ”, l’île de Corse, contrée à nulle autre pareille et territoire du “mezzogiorno ” par excellence est régie par des us et coutumes ancestraux forgés en ces temps farouches et immémoriaux ou le droit coutumier s’érigeait et se s’exerçait tel un réflexe pavlovien. Ancienne société agropastorale rattrapée par la modernité au cours des années soixante, la Corse puisse ses racines dans une très ancienne pratique communautaire villageoise. Monde de proximité à la citoyenneté familiale dans laquelle les affinités de sang et de lieux transcendent l’étiquette et la conscience de classe, l’univers mental corse porte en lui l’empreinte et la pesanteur des lois non écrites nourrissant son inconscient culturel et collectif.

Une culture de résistance

Selon une formule célèbre qui dépeint à merveille l’esprit caustique à “l’usu isulanu” il est dit que “en corse, le maquis commence à la Préfecture d’Ajaccio”. Symbole de la rebelle âme insulaire, “le palais vert” de la “machja” est le champ de bataille ou s’opposent et se combattent les valeurs séculaires d’une société archaïque aux traditions orales et tout l’arsenal du droit de la justice d’un état moderne. Comme un fait culturel et social, le geste de l’homme traqué et fugitif bénéficie de la solidarité et de la “fratellanza” de toute une communauté. L’individu, “cascatu in disgraziu”, victime de la fatalité et du destin est pris en charge par les lois sacrés de l’hospitalité, sources divines et mythiques de l’esprit grégaire et communautaire. Le proscrit ou l’homme en cavale est dissocié de l’acte illicite qu’il a pu commettre comme le souligne si bien cet antique dicton : “dicu u peccatu, micca u peccatore”.

Les montagnes de Corse résonnent encore des coups de mousquet de l’épopée tragique et sanglante de ces rois du maquis que furent les bandits “d’honneur” victimes et initiateurs de la loi des trois subversité. Théodore Poli “le roi de la montagne”, Gallochio “le seigneur du maquis ”, les frères Bonelli de Bocognano dits “bellacoscia”, Nonce Romanetti “le roi du maquis” ou bien Spada “le bandit de dieu”, pour ne citer que les plus célèbres, sont tous entrés dans le panthéon de l’imaginaire populaire corse. Exploité par la littérature romantique du 19ème siècle, le phénomène du banditisme témoigne aussi de la volonté exacerbée de se soustraire à une justice lointaine, extérieure, périphérique et souvent arbitraire.

Au cours de l’histoire, le régime de l’île n’a souvent été que celui de la trique et de la matraque, participant pour cela à son insu à l’élaboration d’une véritable culture de résistance qui n’est pas surgie ex nihilo. Les lois d’exception succédant aux iniquités et autres injustices flagrantes, la structure sociale corse est une conséquence de multiples dominations abhorrées. Ne croyant plus à une quelconque instauration de l’état de droit la population excédée s’est recroquevillée sur elle-même au sein de la cellule familiale et clanique afin de bénéficier d’une protection. Pour résister au joug des puissances tutélaires, des réseaux transversaux de solidarité se sont mis en place, gages de sécurité et de soutien pour les reprouvés et rebelles de toutes sortes. Valeurs sures et suprêmes au fil du temps “l’aiutu ” et l’hospitalité ont franchi allègrement le cap du 20ème siècle et témoignent encore de l’authenticité de la flamme et de l’attachement d’un peuple à sa terre et à ses fondements les plus profonds. C’est dans ce contexte politique, sociologique et historique de guerre civile larvée, que durant 4 longues années, Yvan Colonna alias “thierry” a pu se soustraire aux investigations de toutes les polices de France et de Navarre.

Par sa mémoire collective enfouie et les valeurs qui lui sont associées, la Corse forme incontestablement une unité particulière et indéniable. Un atavisme irréductible inscrit au plus profond du patrimoine génétique, une marque de fabrique reconnaissable entre toutes, peut être est ce dans cette intelligence de cœur et cette grandeur d’âme que se trouve nichée la substantifique moelle, à la fois clé de voûte et ciment réunificateur du kaléidoscope corse ?